IV. Les arts verriers

Le verre est sans doute l’un des matériaux les plus anciens du monde et des plus importants tant il a façonné les décors de civilisations anciennes tout comme actuelles.
Et pourtant, tout part d’une expérience accidentelle, réalisée par des marchands de natron en environ 3500 av. J.C. Ces marchands phéniciens vendaient alors à travers toute la Méditerranée un sel desséchant, du carbonate de sodium hydraté Na2CO3, 10 H2O, appelé natron ou nitre et principalement utilisé dans les processus de momification. Et c’est sur l’une des plages où ils firent escale en Mésopotamie que ces marchands, n’ayant que pour but premier de préparer leur souper, firent l’invention du verre, comme le décrit Pline
l’Ancien à travers ce texte :

[…] un navire portant des marchands de nitre vint y aborder, et , comme les marchands dispersés sur le rivage préparaient leur repas et ne trouvaient pas de pierres pour réhausser leurs marmites, ils les remplacèrent par des mottes de nitre tirées de leur cargaison. Quand celles-ci furent embrasées, mêlées avec le sable du rivage, des ruisseaux translucides d’un liquide inconnu se mirent à couler et telle fut l’origine du verre

Pline l’Ancien (23-79 ap. J.C.)
Découverte accidentelle de la fusion de la silice du sable grâce au natron, et donc de la fabrication du verre, en Mésopotamie en 3500 av. J.C.

Le verre est issu de la fusion de la silice SiO2, principal constituant du sable, qui ne fond qu’à une température très élevée (1800°C), difficile à atteindre dans un four classique et encore plus à l’époque ! Mais le natron joue le rôle de fondant, en abaissant la température de fusion de la silice à 1300°C, et permis alors d’obtenir ce phénomène à partir des feux des marmites !

La recette du verre ne s’en est trouvée qu’améliorée à la suite des siècles, selon l’ajout d’autres ingrédients à la silice de base (70% du mélange initial) pour abaisser sa température de fusion (le fondant, à hauteur de 15% dans ce même mélange), ou pour contrôler ses propriétés physiques et notamment optiques (transparence , dureté, coloration, etc…). Les fondants utilisés peuvent être par exemple de la potasse KOH, qui crée des verres irréguliers s’altérant plus facilement et perdant leur transparence ou de la soude NaOH qui crée des verres plus résistants et plus purs. Des stabilisants peuvent être ajoutés, pour apporter résistance et cohésion au verre comme de la chaux (10% du mélange initial).

Les procédés ont aussi évolué, notamment pour mieux le mettre en forme : c’est notamment la technique du verre soufflé qui se sera imposée jusqu’à nos jours encore.

Le maitre verrier Giuseppe en action à Murano (vidéo personnelle, tous droits réservés)

Mais pour en revenir à l’objet de ce cours, qu’en est-il de la couleur des verres ? Et bien depuis l’Antiquité, celle-ci est notamment obtenu par l’ajout d’ions métalliques à la matrice de silice. Et plus précisément d’oxydes métalliques, ajoutés directement à la masse de verre en fusion (à 1500°C environ).

Le cuivre donne par exemple une teinte bleu au verre, tandis que le titane lui donnera une teinte violette, le vanadium une teinte verte tout comme le chrome qui peut également donner du jaune, ou encore le nickel qui donnera plutôt une coloration brune. La coloration obtenue dépend donc bien entendu de la nature du métal ajouté, mais aussi de son degré d’oxydation, qui représente le gain ou la perte en électron du métal dans l’environnement chimique considéré par rapport à son nombre d’électron lorsqu’il est isolé ou du moins pris comme élément neutre.

Mais introduire des complexes de métaux n’est pas la seule méthode utilisée pour obtenir des colorations intrigantes du verre : des colorations particulières du verre peuvent en effet être obtenues par l’ajout d’agrégats métalliques de très petite taille, de l’ordre du nanomètre (soit 1000 fois plus petits que le diamètre d’un cheveu). Ces nanoparticules sont ainsi responsables d’effets étonnants vis-à-vis de la lumière.
La manifestation la plus célèbre de l’ajout de nanomatériaux au sein du verre réside en la coupe de Lycurge, coupe du IVème siècle avant J.C. de 16,5 cm de haut. Cette coupe retrace un épisode de l’Illiade à propos de Lycurge, roi des Thraces au VIIIème siècle avant notre ère, qui essaie de tuer Ambrosia, ménades (càd disciple) et mère adoptive du Dieu Dionysos. Cette dernière se transforma néanmoins en pied de vigne qui s’enroula autour du roi pour le contenir, tandis que Dionysos et deux autres disciples se moquent de lui… Mais là où cette coupe est fascinante, c’est lorsqu’elle est éclairée : éclairée depuis l’extérieure, elle apparaît verte, alors qu’éclairée depuis l’intérieure, elle apparaît rouge !


On obtient donc une coloration différente selon le mode d’observation adopté, et cela s’explique par les propriétés optiques du verre utilisé. Quand celui-ci est éclairé de l’intérieur, la partie verte du rayonnement est réfléchie et emprisonnée à l’intérieur, et il ne sort que le rouge, couleur complémentaire du vert et que nous voyons à l’extérieur. Le phénomène est inversé bien entendu si on l’éclaire depuis l’extérieur. Cet effet réside en la composition du verre, qui contient des agrégats de nanoparticules d’or et d’argent (50 à 70 nm), très probablement introduites accidentellement lors de la fabrication du verre et formées lors de conditions de recuits particulières du verre et qui permettent cette interaction si particulière avec la lumière.

Coupe de Lycurge (IVème av. J.C.) : propriétés optiques différentes selon l’éclairage du fait de nanoparticules d’or et d’argent de 50 à 70 nm de diamètre.

De nombreux autres objets en verre font appel aux nanotechnologies pour leur donner une couleur particulière : c’est le cas notamment des objets en « verre ruby« , d’un rouge très sombre et profond, développé d’abord par les verriers de Murano avant d’être perdu techniquement entre le IV et XVIIème siècle puis retrouvé en Bohème et détaillé dans sa fabrication en 1612 par l’Arte Vetraria d’Antonio Neri, Bible des verriers. Une variante appelée « cranberry glass », plus rosé et claire fut développé au XIXème siècle et très prisée en Angleterre.

Tout comme la coupe de Lycurge, de l’or a été ajouté dans la matrice verrière, fondue ensuite à 1300°C pour répartir de manière homogène le métal , préalablement traité à l’eau régale, dans le mélange. Le liquide obtenu est alors progressivement et lentement refroidi. Lorsque le verre atteint 600 ou 800°C, il devient visqueux et maléable, on peut alors le travailler et le souffler pour le mettre en forme. Cet état visqueux et malléable du verre est ensuite maintenu pendant un certain temps à température constante : c’est la phase de recuit. Sans cette étape, et si l’on trempait comme il peut se faire le verre dans un liquide froid, on obtiendrait du verre dit « trempé », qui se casse facilement. Cette étape de recuit est ici nécessaire pour laisser le temps aux atomes d’or de diffuser dans le verre, de se rencontrer, de s’accrocher les uns aux autres pour aboutir après une croissance cristalline à des nanoparticules d’or puis des agrégats de nanoparticules de taille nanométrique (plusieurs centaines à quelques milliers d’atomes).
Les conditions de recuit vont déterminer la taille des agrégats métalliques et in fine la couleur du verre : c’est ainsi que le flacon de parfum Fahrenheit, fait d’un dégradé orange à rouge, fut élaboré, en jouant notamment sur la température du four. Constitué d’agrégats de cuivre, son étonnant aspect provient en fait d’une erreur des verriers de Saint-Gobain, qui avaient mal réglé le four, qui possédait une température en sa partie haute différente qu’en son bas, ce qui a conduit à des agrégats plus gros en haut qu’en bas d’une même bouteille, et donc un dégradé de couleur !

Petit tour du côté de l’atelier…

Nous proposons maintenant et pour finir d’aller à la rencontre de Stéphanie et Julien Pitrat, artisans-verriers dans le Vieux Lyon (Art’Elier).
Ils nous parlent dans la vidéo qui suit de leur métier, des techniques qu’ils utilisent tant dans la restauration de vitraux que dans leurs propres créations artistiques.

Nous aurons ainsi parcouru plusieurs arts picturaux – la peinture, la photographie, les arts verriers – et pu démontrer l’apport ou l’existence de la chimie fondamentalement au sein de ceux-ci.

<= La photographie

=> Support pédagogique