Avant de décrire le rôle que prend la chimie au sein de chacun des arts picturaux présentés ici (la peinture, la photographie, les arts verriers), il est important de s’interroger sur ce qui va lier ces deux notions… à savoir le concept de couleur.
Mais alors, comment définiriez-vous la couleur de votre côté ? Que vous inspire ce terme ? N’hésitez donc pas à laisser en un mot votre pensée à ce sujet sur le nuage de mots ci-dessous où d’autres lecteurs l’ont déjà fait :
Le terme couleur vient du latin color, que l’on pourrait traduire par le verbe « cacher ».
Et en effet, la couleur appliquée à un objet le cache bien en quelque sorte… Mais comment la définir exactement? Replongeons nous dans nos cours d’arts plastiques et tentons une première approche par la Physique.
Définition physique de la couleur
Tout d’abord, il faut savoir que notre œil ne perçoit qu’une infime partie de la lumière qu’il lui parvient, que nous définissons physiquement comme différentes ondes électromagnétiques transportant chacune une énergie bien précise en valeur. A chacune de ces ondes électromagnétiques est associée un nombre unique que l’on appelle longueur d’onde, qui permet de caractériser cette onde. En ce qui concerne la vision humaine, notre cerveau associe alors à chacune de ces ondes perçues (et donc à chacune de ces longueurs d’onde) une sensation colorée différente.
Par exemple, pour une onde électromagnétique de longueur d’onde de 800 nm arrivant à notre œil, la sensation colorée donnée par le cerveau sera celle du rouge, tandis que pour une onde électromagnétique de longueur d’onde de 400 nm, ce sera le bleu que l’on associera. L’oeil humain ne peut ainsi percevoir que les ondes électromagnétiques ayant des longueurs d’onde entre ces deux valeurs de 400 et 800 nm, même s’il nous parvient à tout instant et autour de nous une multitude d’ondes électromagnétiques, dont sont donnés quelques exemples sur le schéma ci-dessous.
Le Soleil, à l’instar de nos ampoules de maison, nous envoie ainsi une grande partie des ondes électromagnétiques visibles par nos yeux : l’ensemble de ces ondes, additionnées par notre cerveau, nous donne une impression de blanc, et voici toutes les « couleurs » que nous envoie le soleil, que nous avons tous déjà vues lorsque sa lumière est décomposée au passage à travers une goutte d’eau, formant ainsi un arc-en-ciel.
On comprend d’ores et déjà ici le rôle fondamental que pourra jouer notre oeil sur la perception des couleurs, puisque finalement il sert de palette qui mélange les couleurs, celles de l’arc-en-ciel en une couleur résultante blanche.
Si l’on se remémore ses cours d’arts plastiques, on se souviendra alors qu’il est possible de produire toutes les couleurs possibles par ce que l’on appelle la synthèse additive ou par la synthèse soustractive, à partir de juste trois couleurs convenablement choisies. Le choix doit être tel qu’aucune des trois couleurs ne puisse être synthétisée par combinaison (addition ou soustraction) des deux autres, et on qualifiera alors ces couleurs de primaires.
‣ La synthèse additive d’une couleur s’effectuera en superposant trois lumières colorées primaires en des proportions précises. Les couleurs primaires sont alors le rouge, le vert et le bleu, celles des pixels constituant les écrans.
‣ La synthèse soustractive d’une couleur repose elle sur l’élimination ou la soustraction de certaines longueurs d’onde de la lumière blanche. On la réalise alors en mélangeant des matières primaires colorantes, bleu-cyan, rouge-magenta et jaune. C’est sur ce principe que sont fondées la photographie couleur argentique, l’impression couleur (celle en trichromie de nos imprimantes domestiques) et bien sûr la peinture dans la majorité des cas. Par mélange de pigments, le peintre élimine certaines « couleurs » de la lumière blanche qui sont absorbées par les pigments pour ne restituer que celle voulue, qui n’a pas été absorbée par les pigments.
A gauche est représenté le concept de synthèse additive : Amusez-vous à déplacer les lampes jusqu’à superposer les couleurs qu’elles produisent – à droite est représenté le concept de synthèse soustractive : superposez les différentes taches issues des peinture sur la feuille blanche et regardez le résultat !
Prenons l’exemple d’un objet coloré : un vase vert par exemple. Cet objet paraîtra d’une couleur (verte ici) parce qu’il aura absorbé toutes les longueurs d’onde qu’il aura reçu d’une source lumineuse, sauf celle qui correspondent au vert, du fait de sa nature chimique. Il renverra donc les radiations non absorbées (vertes) principalement par réflexion.
La couleur de la lumière renvoyée par l’objet est la couleur dite complémentaire de la couleur qu’il a absorbé. Par exemple, un objet vert aura absorbé dans le spectre de la lumière blanche les radiations correspondant au bleu et au rouge, qui mélangées donne le magenta : le vert est la couleur complémentaire du magenta. Les couleurs dites complémentaires ou secondaires en peinture sont alors obtenues par mélange de deux couleurs primaires.
Finalement, on comprend que la couleur d’un objet va dépendre de trois éléments : d’abord la source lumineuse qui l’éclaire, qui de par sa nature n’apporte à l’objet qu’un certain lot de couleurs avec lesquelles il pourra interagir. Ensuite l’objet en soi, qui va absorber certaines couleurs de la source lumineuses et en renvoyer d’autres. En enfin, l’oeil qui va percevoir ces ondes renvoyées par l’objet et qui va interpréter les choses, en nous donnant une sensation physiologique (« cet objet est rouge ») et qui n’est qu’une pure construction de notre cerveau après tout. C’est de ce dernier aspect que nous allons discuter maintenant.
Définition physiologique de la couleur
Lorsqu’une onde électromagnétique frappe la rétine au fond de notre œil, il se produit un phénomène purement chimique, ou plus précisément photochimique, qui constitue l’acte premier de la vision. Pour expliciter cela, il faut déjà préciser que la rétine de l’oeil humain est composée de cellules photosensibles de deux sortes : les cônes et les bâtonnets.
Les cônes sont responsables de la vision en couleur et par lumière de forte intensité (diurne par exemple), tandis que les bâtonnets permettront une vision en environnement de faible intensité lumineuse (nocturne par exemple).
Ces cellules sont photosensibles du fait de leur composition en pigments photosensibles particuliers : des iodopsines dans le cas des cônes, de la rhodopsine dans le cas des bâtonnets. La rhodopsine est formée au sein de l’oeil par une réaction entre une molécule appelée (Z)-rétinal avec une protéine appelée opsine. La rhodopsine est photosensible car, lorsque la lumière l’atteint, la double liaison C=C qu’elle contient change de configuration (configuration Z à configuration E), donnant ainsi la rhodopsine activée.
Ce changement de conformation déclenche une cascade de réactions qui se traduit quasi instantanément en un influx nerveux envoyé au cerveau via le nerf optique. Ce mécanisme est très sensible puisqu’il suffit qu’un seul photon (une seule onde électromagnétique) frappe la rétine pour que l’oeil puisse le percevoir ! La rhodopsine activée s’isomérise ensuite de nouveau en rhodopsine, ce qui lui permet de réagir de nouveau avec les photons.
L’impression colorée résulte alors en une interprétation du cerveau des différents signaux électriques résultant des réactions ayant lieues au sein des cônes et des bâtonnets. La rétine de l’oeil a alors une réponse spectrale trichromique : les cônes sont en effet sensibles au bleu, au vert, et au rouge, ce qui justifie alors la choix pertinent de ces trois couleurs comme couleurs élémentaires primaires dans la synthèse additive évoquée au paragraphe précédent.
Pour caractériser une couleur au sens physiologique du terme, on fera alors appel à trois notions : la teinte, pour distinguer les différentes sensations colorées perçues par notre cerveau, la saturation qui exprime la pureté d’une couleur (qui est alors plus ou moins « lavée de blanc ») et la clarté, qui représente l’intensité lumineuse perçue par notre oeil.
Les teintes pures correspondent à des couleurs dites saturées (périphérie du disque). La saturation diminue quand on se rapproche du centre. La clarté est portée sur l’axe vertical.
Les peintres, par les mélanges de composés et techniques qu’ils adopteront pourront jouer sur ces trois paramètres, pour faire ressortir plus ou moins certains éléments de leur tableau. Un premier exemple illustrant à quel point les peintres sont aptes à jouer avec les couleurs et nos sensations physiologiques peut se trouver dans le tableau de Claude Monet, Impression Soleil Levant, tableau fondateur du mouvement impressionniste et qui porte bien son nom : le spectateur a l’impression que la clarté de la couleur du soleil est très prononcée par rapport au reste de l’image. Mais, en passant cette photo en noir et blanc comme dans l’image ci-dessous, on se rend compte qu’il n’en est rien et que Monet a juste habilement jouer sur un « simple » contraste chromatique.
La technique du glacis est un autre exemple de technique qui permet de jouer sur la clarté d’un tableau et de donner l’impression que la lumière provient de ce dernier : les peintres ajoutent alors une couche de peinture translucide constituée d’un pigment unique en faible quantité sur un fond blanc. Une partie de la lumière est alors absorbée par les pigments, donnant la teinte de la couche, une autre est diffusée et également « renvoyée » par le fond blanc devenu diffusant par cette couche picturale translucide.
De plus, l’empilement de telles couches fines de pigments dilués pourra également augmenter la saturation d’une couleur, d’une manière dont on ne pourrait atteindre par simple mélange de pigment, tout en diminuant en contrepartie un peu sa clarté. C’est ainsi que les peintes flamands notamment auront ainsi pu jouer sur la diffusion de la lumière par leur tableau et donner naissance à des effets visuels uniques !
Définition chimique de la couleur
Pour comprendre maintenant la couleur d’un point de vue moléculaire, il nous faudra faire à des concepts de mécanique quantique.
Donnons une vision simplifiée des choses : Une molécule ou un atome contient un certain nombre d’électrons, comportant des énergies différentes et que l’on peut ainsi classer en différents niveaux d’énergie électroniques. Si la différence d’énergie entre deux niveaux électroniques (l’un comportant des électrons et un autre n’en comportant pas par exemple) est égale à celle du photon (ou « grain de lumière ») que la molécule ou l’atome reçoit, il peut alors se produire une transition électronique entre les deux niveaux, soit le passage d’un électron d’un niveau à un autre d’énergie plus élevé, ce qui se produit grâce à l’énergie amenée par le photon qui s’en trouve alors absorbé.
Plaçons nous dans le cas où les énergies de transition engagées correspondent au domaine visible par l’œil : parmi toute la lumière que reçoit alors la molécule, seule une partie correspondant à ces transitions sera absorbée, le reste (càd la couleur complémentaire) sera réfléchi et percevable par notre oeil. Chaque molécule ou atome étant différent en terme de structure électronique, il en résulte que les transitions seront différentes, et donc les interactions avec la lumière seront différentes.
pour lesquelles les transitions entre sont responsables de la couleur du complexe
Au sein des composés inorganiques, tels que les pigments minéraux employés en peinture, les causes principales de la couleur réside alors en la présence d’éléments qui interagissent alors avec la lumière visible. Il peut s’agir d’impuretés ou d’entités chimiques particulières, tels que des ions métalliques et principalement des ions de métaux de transition ; chrome, manganèse, fer, cobalt, nickel, cuivre… Selon la nature de cet ion et également son environnement moléculaire (molécules s’y rattachant, etc.), les spectres d’absorption de ces ions seront différents, et cela explique aussi pourquoi un même ion métallique peut-être à l’origine de couleurs différentes (exemple du cobalt qui peut donner du bleu ou du violet et même du rose). D’autres phénomènes plus complexes peuvent bien entendu expliquer les couleurs de composés chimiques
Au sein des composés organiques, la structure électronique même de ces derniers peut expliquer leur couleur : c’est le cas de nombreux colorants organiques, où les électrons sont délocalisés sur l’ensemble de la structure chimique et n’ont besoin que de peu d’énergie, assimilable à celle de la lumière visible, pour pouvoir transiter d’un état énergétique à un autre.
Armé de toutes ces notions physico-chimique, nous pouvons entrer dans une description un peu plus exhaustive du maniement de la couleur dans les arts picturaux et sa compréhension chimique !